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Temps de lecture : 6min

Consommation mondiale d'huile de palme : la fin de la forêt primaire ?

Ecrit le 09.Nov.20 par Jade Billon — Mis à jour le 02.Sep.22


En 2010, les grandes multinationales s’étaient engagées sur un objectif zéro déforestation à l’horizon de … 2020. Nous y voilà. Des années après les premières images chocs de grands singes confrontés aux bulldozers. Pourtant, nous continuons de manger et étaler sur nos visages les dernières grandes forêts primaires de la planète, plus que jamais menacées de disparition par notre consommation effrénée d’huile de palme. De quoi désespérer ?

L’huile de palme, catastrophe écologique

Une déforestation galopante

240 millions d’hectares : c’est la surface de forêt perdue par notre planète en 15 ans. 170 millions d’hectares risquent encore de disparaître d’ici 2030. Pour un tiers, des forêts tropicales primaires. Au Brésil, en RDC, Indonésie, Malaisie... Et c’est une catastrophe.

Parce qu’une forêt primaire, c’est une forêt vierge, uneforêt à forte naturalité :un écosystème d’exception, préservé de toute activité humaine, route, exploitation. Des arbres millénaires, une biodiversité complexe et unique grâce notamment à une canopée haut perchée foisonnante, tellement dense qu’on ne voit pas le ciel. Des écosystèmes parmi les plus sensibles et importants écologiquement. Dont la superficie diminue 6 à 7 fois plus rapidement que la surface forestière mondiale globale.

Bien sûr, l’huile de palme n’est pas responsable à elle seule de la déforestation mondiale. Mais en est incontestablement le moteur en Indonésie et Malaisie : 50% des palmeraies indonésiennes étaient encore des forêts en 1989. A Bornéo, entre 1990 et 2010, 30% des forêts primaires ont été converties en palmeraies. Chaque année, l’équivalent de la superficie de l’Angleterre y est déboisé.

Coupable : notre surconsommation d’huile de palme

Le palmier à huile en lui-même n’y est pour rien. Super productif, il donne une huile multi-usage aux rendements incroyables : plutôt top, niveau empreinte écologique ! Du moins tant que l’huile de palme était consommée localement et traditionnellement. Notre course folle à la surconsommation et sa surproduction ont tout changé.

Bon marché, inodore, stable, résistante, facile à conserver, non comédogène, capable de remplacer quasiment toutes les autres : l’huile de palme est un rêve pour les industriels. Pâtes à tartiner, shampoings, produits ménagers, chips, laits pour le corps, plats cuisinés : la moitié des produits de supermarché en contiennent. En 2018, l’huile de palme c’est 70 millions de tonnes, le quart du marché mondial des huiles végétales à elle toute seule ! 27 millions d’hectares sont dédiés à sa production, l’équivalent de la Nouvelle-Zélande. Pas si énorme, à l’échelle de la planète... sauf que le palmier à huile exige une hygrométrie et des températures bien spécifiques.

Résultat : plus de 85% de la production mondiale d’huile de palme se concentre sur un petit territoire, l’Indonésie et la Malaisie. Là-même où se trouvent de fabuleuses forêts primaires tropicales. Rendements exceptionnels ou non, pour suivre la demande mondiale, il faut faire de la place ! Les forêts, généralement libres d’accès, offrent un terrain idéal pour bafouer le droit en s’appropriant de grandes superficies, l’exploitation du bois permettant de couvrir les coûts de mise en culture des palmeraies. Et c’est une course sans fin : une palmeraie produit pendant 25 ans, en épuisant totalement le sol. Il faut ensuite trouver de nouvelles terres et planter de nouveaux palmiers…

Une catastrophe écologique de grande ampleur

C’est une menace majeure pour l’équilibre écologique de notre planèteet notre capacité à ralentir les changements climatiques. Pourquoi ? Après tout, on défriche pour replanter, pas pour construire des parkings !

Un chiffre choc : l’Indonésie est le 3e émetteur mondial de gaz à effets de serre. A cause des déforestations. Souvent opérées par brûlis, elles libèrent une énorme quantité de CO2. Les zones marécageuses des forêts primaires, les tourbières, en contiennent autant que la combustion mondiale de carburants fossiles en émet en 10 ans ! Certaines années, les seuls incendies indonésiens ont représenté 40% des émissions mondiales de CO2… Et les palmiers, qui sont des plantes et non des arbres, ne peuvent reprendre le rôle régulateur de la forêt primaire : ils capturent trois fois moins de CO2.

Avec la forêt primaire, disparaissent aussi les rivières qui y prennent leur source. Elle laisse un sol pauvre, qui s’érode facilement. L’habitat de grands mammifères menacés de disparition est détruit : orangs-outans, nasiques, gibbons, éléphants pygmées de Bornéo, tigres de Sumatra… sont repoussés toujours plus loin, plus exposés au braconnage. Mais aussi les oiseaux, papillons, champignons, insectes : aucun ne survit dans les palmeraies, véritables déserts verts. D’après l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, 193 espèces sont en danger critique à cause de l’huile de palme.

Peut-on réparer les dégâts de l’huile de palme ?

Le signal d’alarme tiré, est-il encore temps de revenir en arrière ?

Replanter les forêts primaires ? Du très (très !) long terme

Le initiatives se multiplient. Greenpeace fait pression sur les industriels, la fin de la déforestation est un objectif affiché de l’ONU, des zones protégées sont créées, l’exploitation durable encouragée. Et les programmes de reboisement se multiplient. A première vue, les résultats sont là : les surfaces forestières diminuent toujours, mais de moins en moins vite. 7,8 millions d'hectares par an dans les années 1990 et seulement (hum) 4,7 millions annuels depuis 2010 !

Pourtant, pour la forêt tropicale, 2018 a été la 4e année la plus destructrice du XXIe siècle, notamment sur Sumatra et Bornéo. Après… 2016, 2017 et 2014. La reforestation s’est accélérée, mais la déforestation n’a pas ralenti. Bien au contraire : 12 millions d’hectares arborés ont été détruits dont 3,64 millions d’hectares de forêt primaire. L’équivalent de la Belgique. 2019 n’a pas fait mieux, 2020 n’annonce aucun infléchissement…

On pinaille ? Non ! Les forêts replantées, dites secondaires, n’ont ni la richesse écologique ni la capacité à absorber le CO2 de la forêt primaire. Et ce ne sera pas le cas avant plusieurs siècles. Millénaires, peut-être. Voire jamais. Les dégâts, eux, sont immédiats. Et en continuant à ce rythme il ne restera plus à la fin du siècle que quelques fragments de forêts primaires fortement dégradés. Au mieux.

Une huile de palme vertueuse : mission impossible ?

Enrayer cette course mortifère semble d’autant plus difficile que l’Afrique et l’Amérique latine s’engouffrent à leur tour dans l’huile de palme. Les forêts primaires du bassin du Congo, nouvel eldorado du palmier à huile, stockent 4 fois plus de CO2 que la forêt indonésienne ! En Colombie, au Brésil l’objectif est clair : quadrupler les terres dédiées au palmier à huile entre 2004 et 2025 afin de supplanter Indonésie et Malaisie. L’Amazonie, dont la déforestation a augmenté de 222% entre 2019 et 2018, est une bombe de carbone. Sa disparition – possible à très court terme- qui s’accélère sous l’effet de la sécheresse et des incendies liés à la déforestation sera catastrophique pour le climat.

Comment éviter que l’histoire de l’huile de palme ne bégaie ? Concilier soutien au développement du Sud et écologie est un défi immense…Développement d’une filière responsable, Initiative Huile de Palme en Afrique visant le zéro déforestation, refus de financement par la Banque Mondiale des projets susceptibles de provoquer des défrichements, revalorisation des terres dégradées, amélioration des rendements : aucune de ces initiatives n’a à ce jour d’impact positif notable sur la déforestation. Interdire l’huile de palme serait vain : le problème se reporterait sur des cultures plus gourmandes en terres agricoles. Colza, soja ou tournesol ont un rendement 4 à 9 fois moindre…

Pour les chercheurs, c’est clair : avec ces enjeux économiques, l’industrie de l’huile de palme ne peut aller sans déforestation. Les seuls ralentissements ponctuels ? Lorsque la demande marque le pas. Voilà la clé !

Peser par nos choix de consommation

20% de la déforestation mondiale est imputable à l’huile de palme alors qu’elle n’a rien d’incontournable : l’éviter est même plutôt facile :

    • En diminuant le recours à la voiture individuelle : les si mal nommés biocarburants sont la principale cause des importations françaises d’huile de palme.

Allons plus loin. En interpelant, faisant pression sur les marques (vive les réseaux sociaux !). En soutenant des ONG, comme WWF, Greenpeace ou Kalaweit qui rachète et sanctuarise des hectares de forêt indonésienne. Vous le faites déjà en achetant nos produits !

Enfin, l’huile de palme n’est pas la seule menace qui pèse sur les forêts primaires : exploitation du bois et des minerais, élevage, culture du soja, du cacao, poivre, fourrage, hévéa pour nos pneus sont aussi dévastateurs. Diminuer sa consommation de viande, privilégier le papier recyclé et l’économiser, y aller mollo sur le chocolat, préférer les meubles d’occasion : chaque action compte ! Jean-Luc Dupouey, écologue forestier et chercheur à l’Inra formule parfaitement l’enjeu : « nous devons traiter les forêts à forte naturalité pour ce qu’elles sont : une ressource quasi-non renouvelable et dont la durée d’exploitation risque d’être très courte.».

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