Applications de notation cosmétique : vérité ou mensonge ?
Ecrit le 05.Nov.20 par Anne-Marie — Mis à jour le 01.Oct.21
Rayon cosmétique, un smartphone photographie ou scanne chaque crème hydratante. Deux secondes puis le tube est embarqué ou reposé : Yuka, Clean beauty, INCI Beauty, CosmEthics ou encore QuelCosmetic a livré son verdict. Ces applications cosmétiques, quasi indissociables de la vague de la Clean Beauty, nous promettent toute la vérité en un scan sur nos fonds de teint et shampoings. Pour consommer mieux, pour notre peau, notre santé. Trop beau pour être vrai ? Décryptage.
Les applications cosmétiques : la solution pour une beauté plus clean ?
Le succès fulgurant des applications cosmétiques, comme de leurs grandes sœurs alimentaires, accompagne une tendance de fond : la recherche d’une consommation plus sûre, plus saine. Et une méfiance grandissante vis-à-vis des marques et leur marketing.
Parlez-vous couramment INCI ?
Il faut dire qu’entre greenwashing, labels pas assez exigeants ou normes au rabais, il y a de quoi être perdu.e. La solution ? L’incontournable liste INCI, bien sûr ! Oubliez affirmations péremptoires, arguments de packagings : pour savoir ce que contiennent vos cosmétiques, il faut décortiquer leurs compositions. Mais avec plus de 16000 ingrédients référencés, des noms latins et anglais pleins de lettres, des terme chimiques nébuleux, pas toujours facile de s’y retrouver. D’où l’idée plutôt emballante de ces applications cosmétiques, véritables traductrices de liste INCI.
Leurs bases de données évaluent soit les ingrédients cosmétiques soit directement les produits. Pour les utiliser, rien de plus simple : selon les cas, photographiez la liste INCI du cosmétique, scannez son code-barre ou rentrez son nom. En une seconde vous êtes fixé.e. Une note et/ou un code couleur associés à une appréciation vous incite à plus ou moins de confiance ou prudence. Votre liste obscure est traduite en un clair et net go/no go.
Une cosmétique plus saine à la portée de tous ?
Le plus souvent gratuites, simples d’utilisation, toujours à portée de main, elles ont largement contribué à amplifier le changement. Faites-vous partie de ces utilisateurs passés de scans ludiques à une véritable prise de conscience, à force de verdicts écarlates ? Préoccupant, A risque significatif, ce lait hydratant acheté en pharmacie depuis des années ? Argh !
Et elles convainquent : 1 consommateur sur 10 utiliserait régulièrement une application cosmétique ou alimentaire aujourd’hui. Une très large majorité affirme avoir abandonné certains produits sur cette base et reposer systématiquement les plus mal notés. Quelle influence en quelques petites années ! Conséquence, côté marques, les mauvaises notes entraînent justifications et explications et même, à en croire les applications cosmétiques, des adaptations de compositions, parfois avant lancement !
Sensibilisation du public, développement éclair d’une cosmétique plus clean, facilité d’accès à une consommation plus saine : le tableau semble idyllique. Sauf que, évidemment, les choses ne sont pas si simples.
Les applications cosmétiques entre partis pris, opacité et erreurs
Rouge ou vert ? Mettez-vous d’accord !
Si elles se nourrissent de la crise de confiance des consommateurs, les applications cosmétiques n’y échappent pas elles-mêmes. De nombreux crash-tests pointent des divergences profondes entre applications. Des avis parfois totalement contradictoires qui questionnent leur fiabilité : un cosmétique excellent chez l’une mais dangereux pour l’autre, comment est-ce possible ?
Déjà, il y a des erreurs. Plus de 800 000 cosmétiques sur le marché européen, un tiers changeant de formule chaque année mais pas de code-barre, des nouveautés permanentes : impossible de tenir une base de données à jour en temps réel.
Et chacune, tout en affirmant s’appuyer sur des sources solides, construit ses propres bases et algorithmes, sans fondement scientifique évident ni transparence. A part QuelCosmetic qui attribue au soin la note de son moins bon composant, impossible de savoir ce qui les fait basculer vers le bas ou le haut. La frontière excellent/bon, bon/mauvais ? Difficile à cerner. Les critères de mise en avant de produits alternatifs ? Mystère, lorsque des produits conventionnels sont l’alternative saine à des soins naturels et bio…
Un manque d’exigence
Car chacune définit ses principaux points de vigilance : perturbateurs endocriniens, composants irritants, allergènes, naturalité… Avec des niveaux d’exigence pas forcément à la hauteur de nos attentes. Et des partis-pris étonnants. Voyants au vert pour les PEG et autres ingrédients pétrochimiques, le phénoxyéthanol mais une note qui plonge systématiquement pour les parfums naturels issus d’huiles essentielles ? Vraiment ? Yuka traite de la même façon allergènes naturels et synthétiques, CosmEthics ne met en rouge que les ingrédients interdits en Europe alors que INCI Beauty ou Clean Beauty dénoncent plus largement les ingrédients controversés. Mention spéciale à Mireille qui met en évidence les allergènes pour les personnes concernées, sans pour autant pénaliser le soin évalué.
Une vision simpliste de la formulation cosmétique
C’est même leur logique de base qui est contestable. Les applications cosmétiques simplifient à l’extrême, avec des raccourcis dommageables. Une crème solaire s’affirme sans nano ? Cela suffit généralement à lui accorder une bonne note. Pourtant, le problème est bien plus complexe et nuancé qu’un verdict binaire, exige des explications un peu poussées (que vous trouverez ici 😉). Et que penser d’un cosmétique plutôt bien noté parce qu’il ne contient qu’un perturbateur endocrinien ?
L’évaluation automatique, ingrédient par ingrédient, n’a pas vraiment de sens. Des critères hétérogènes sont additionnés comme choux et carottes, la liste INCI analysée en simple énumération. Quid du si important ordre des ingrédients, des dosages et concentrations, des types de risques ? Les zones, modes et fréquences d’application ? L’existence ou non d’une alternative ? Des critères incontournables mais inaccessibles ou difficiles à automatiser par les applications cosmétiques… Bref, algorithmes et notes ne sont pas franchement adaptés à des choix cosmétiques éclairés.
L’innocuité ne fait pas le bon cosmétique
D’autant moins que les applications cosmétiques restent généralement muettes sur des points centraux. Elles veulent nous rassurer sur l’absence de nocivité (connue) pour la peau, la santé ? Très bien ! Mais un peu court pour recommander un cosmétique...
Et l’efficacité ?
Qu’un cosmétique ne nous fasse pas de mal, c’est essentiel. Mais s’il ne nous fait aucun bien, quel intérêt ?
Or, la liste INCI ne donne à elle seule aucune indication sur la qualité des ingrédients et l’efficacité de la formule. Sans prise en compte qualitative détaillée de chaque ingrédient, de leurs synergies, de l’objectif du cosmétique, impossible de l’évaluer.
Des ingrédients pétrochimiques de synthèses peuvent être sans risque pour la santé, bien notés, mais n’apporteront rien à votre peau. Une huile estérifiée ne supporte aucune comparaison avec une huile végétale pure première pression à froid. Pourtant, l’huile végétale dont elle est issue apparaît dans la liste INCI. En toute fin de liste, peut-être, mais pour votre appli, elle y est ! Votre soin contient du beurre de Karité ? Super, mais est-il raffiné ou brut ?
Les applications cosmétiques ont même tendance à offrir une prime aux ingrédients de remplissage (mis à part Mireille qui les signale, même sans danger). Pour une bonne note, certains laboratoires abandonnent des ingrédients mal notés, pas toujours à bon escient, pour d’autres jugés inoffensifs. Tellement inoffensifs qu’ils ne font rien ! Poussons le raisonnement à l’absurde : un cosmétique ne contenant quasiment que de l’eau serait vert de chez vert sur votre appli. Mais niveau efficacité, on repassera. On a vu mieux comme rempart contre le greenwashing.
Des critères qui ne permettent pas une consommation durable et éthique
Une multitude d’autres critères leur manquent encore pour permettre des choix éclairés.
Certaines précisent l’origine végétale, animale, synthétique de chaque ingrédient. Un bon début… qui ne garantit pas que tout va bien. Pensez à l’huile de palme ou de coco : ces ingrédients apparemment parfaitement naturels et clean cachent souvent une forêt de catastrophes environnementales et sociales.
CosmEthics est paramétrable si l’on est végan, INCI Beauty note mal les ingrédients qui posent un problème écologique reconnu (sans que l’on ne sache trop où le curseur est placé). Mais aucune application cosmétique ne permet de creuser provenance, conditions de production, procédès de culture et d’extraction. Sans parler de celles qui ignorent totalement la problématique, donnant par exemple sans états d’âme une bonne note aux hyper polluantes silicones, par ailleurs franchement bof pour la peau.
Comment prendre en compte les engagements éco-responsables et éthiques d’une marque ? Comment valoriser celles qui font mieux sur leurs choix d’approvisionnements, leur modèle économique ? Les applications spécialisées sur ces sujets ne sont pas des applications cosmétiques. A suivre, cependant : Mireille (encore !), la nouvelle venue qui veut prendre en compte critères environnementaux et éthiques, circuits courts, etc….
Gardez votre libre arbitre !
Aujourd’hui aucune application cosmétique ne coche toutes les cases. Vous pouvez les tester, adopter celle qui se rapproche le plus de vos exigences comme aide à décrypter, pour une première approche à la louche. Mais n’en faites pas votre référentiel unique ! Ces applications sont incapables de vous livrer tous les secrets des cosmétiques. Comme tout traducteur automatique, elles peuvent même vous dire de grosses bêtises !
Reconnaissons-leur un mérite : elles ont contribué à secouer le marché cosmétique. A nous tou.te.s de prendre le relais. En nous informant, en interrogeant, lisant. En acquérant quelques réflexes et repères pour décrypter les listes INCI… mais pas seulement. Et faire nos propres choix éclairés. Be the change !
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